La boussole stratégique : la fin d’une Europe naïve

4 avr. 2022

Le Conseil européen de mars a adopté un document stratégique historique pour l’Union européenne, la boussole stratégique.   

Il s’agit d’un livre blanc sur la défense européenne qui a été initié sous la présidence allemande et se conclu sous l’impulsion de la Présidence française de l’Union européenne. Il complète le précédent texte stratégique de l’Union européenne, de la Stratégie globale (2016). Son élaboration a été coordonné par le Service européen pour l’action extérieur (SEAE) mais a associé les États membres et différents acteurs européens ce qui a permis d’obtenir un compromis sur ce texte qui aborde des sujets touchant directement à la souveraineté des États membres.              

La spécificité de ce document par rapport aux précédents est son caractère opérationnel. Après une évaluation de l'environnement stratégique, la boussole stratégique décrit des initiatives concrètes dans quatre domaines (opérations, menaces émergentes, capacités, partenariats) avec des objectifs et des échéanciers. Il s'agit donc à la fois d'un livre blanc et d'un plan d’action pour renforcer la politique de sécurité et de défense de l’Union européenne d'ici à 2030. 

Dans sa première partie, le document indique que ses opérations européennes seront renforcées avec des mandats plus "robustes ", un processus décisionnel plus flexible (avec une meilleure utilisation de la disposition de l'article 44 qui permet des coalitions de volontaires) et plus de solidarité financière (en utilisant la Facilité européenne pour la paix déjà utilisée pour livrer des armes à l’Ukraine). 

Par ailleurs, une « capacité de déploiement rapide de l'UE » sera créée d’ici 2025 et permettra aux européens de déployer jusqu'à 5 000 hommes, avec des composantes terrestres, aériennes et maritimes, sur des terrains présentant des menaces potentielles. Cette force s'appuiera sur les groupements tactiques européens existants et aidera les forces armées européenne à se préparer à des scénarios exigeants grâce à une planification préalable, des exercices et des investissements pour répondre aux enjeux de défense. Cette décision était très demandée et a été vivement défendu par l’eurodéputée Nathalie Loiseau, Présidente de la Sous-commission défense et sécurité du Parlement européen.           

Enfin, une préparation accrue des forces européennes sera initiée grâce à la mobilité militaire (plan d'action révisé d'ici 2022), des exercices réels et réguliers dans tous les domaines (à partir de 2023) et une planification avancée renforcée.             

Dans sa seconde partie dite de « sécurité », on observe la mention d’un renforcement des capacités de renseignement, avec des évaluations régulières des menaces et un centre satellitaire de l’Union européenne renforcé. De plus, il est indiqué, la création d’une boîte à outils sur les menaces hybrides, et sur la manipulation et l'ingérence de l'information étrangère.  De plus, il est prévu, un renforcement de la posture européenne dans les "domaines contestés" que sont le cyberespace, l’espace extra-atmosphérique (stratégie de sécurité et de défense à l'horizon 2023), le domaine aérien et le domaine maritime (présences maritimes plus coordonnées dont l'ouest de l'océan Indien).               

Par ailleurs, la boussole aussi aborde les investissements stratégiques de l’Union en matière de défense. Elle demande une augmentation des dépenses de défense et des incitations supplémentaires pour les investissements collaboratifs entre les États membres, comme pour le Système aérien de combat du futur (SCAF) mais aussi une attention particulière est portée sur les investissements dans les technologies émergentes.              

Enfin, une dernière partie aborde les partenariats stratégiques. Pour faire face aux menaces et aux défis communs, l’UE renforcera la coopération avec les partenaires stratégiques tels que l'OTAN, les Nations unies et les partenaires régionaux, notamment l'OSCE, l'UA et l’ASEAN. Elle établira des partenariats bilatéraux plus adaptés avec des pays partageant les mêmes valeurs et des partenaires stratégiques, tels que les États-Unis, le Canada, la Norvège, le Royaume-Uni, le Japon.         Ainsi, l’adoption de la boussole stratégique est donc le signe d’un tournant stratégique majeur de l’Union européenne ; mais aussi la preuve de la prise de conscience d’un environnement instable comme le démontre la crise géopolitique en Ukraine.  

Emmanuel Macron a jugé, lors du dernier Conseil européen, que la PFUE devait être l’occasion d’avancer concrètement sur une politique de défense commune, aussi bien en matière opérationnelle que dans la définition d’une boussole stratégique : « S’il faut résumer en une phrase l’objectif de cette présidence (…), je dirais que nous devons passer d’une Europe de coopération à l’intérieur de nos frontières à une Europe puissante dans le monde, pleinement souveraine, libre de ses choix et maître de son destin », a résumé Emmanuel Macron. Il a insisté sur le fait qu’il souhaitait définir une « souveraineté stratégique européenne ». « Ce concept, qui paraissait impensable il y a quatre ans, permet d’ancrer que nous, Européens, que nous soyons membres de l’OTAN ou pas (…), avons des menaces communes et des objectifs communs », a déclaré le chef de l’Etat.