Au sein même de l’Europe, la liberté de la presse en voie de disparition en Hongrie

22 avr. 2022

A la veille des élections législatives du 3 avril, une délégation de présidents départementaux de l'association Pour une Renaissance Européenne s’est rendue en mission à Budapest, du 24 au 26 mars dernier. A travers ses rencontres avec journalistes, ONG, et personnalités politiques de Momentum, elle a pu prendre la mesure de l'état de déliquescence du pluralisme dans la Hongrie de Viktor Orbán et de son parti, le Fidesz.   

Il ne reste quasiment plus de médias indépendants en Hongrie en 2021. Dans les médias, nous explique un journaliste politique du media en ligne 24.hu, « le gouvernement impose sa présence dominante, contrôlant tous les quotidiens qu’ils soient régionaux (19 régions), ou nationaux à l'exception d'un seul ». L’État possède également toutes les chaînes TV, sauf RTL, seule chaîne indépendante. Les médias en ligne et les radios ne sont pas épargnés, malgré un paysage plus contrasté. Des sites populaires comme Origo (libéral) ont été capturés dès 2014. Après le coup de tonnerre que constitua le renvoi du directeur du site index.hu (mai 2020), le plus gros media indépendant du pays, Klubrádió, qui émettait depuis 20 ans et avait une audience de centaines de milliers d'auditeurs, a perdu sa fréquence le jour de la Saint-Valentin 2021, et a dû se replier sur Internet.     

Comment expliquer cette situation d'hyper-concentration et de censure généralisée alors que le pluralisme fait partie intégrante de la charte des valeurs Européennes ? Il faut un moment s'arrêter sur la stratégie retorse du Fidesz, le parti d’Orban. Dès le pouvoir repris, en 2010, il a placé l’ensemble des médias publics sous la tutelle d’une autorité unique, le Conseil des Médias, contrôlé par des personnes nommées par Orban, ayant la main sur la seule agence de presse, ainsi que sur l’attribution des fréquences aux chaînes de télévision et aux stations de radio. Il avait aussi le pouvoir d’imposer des sanctions et d’accorder des subventions. La législation a été délibérément rédigée de manière vague, donnant à cette autorité d’énormes pouvoirs discrétionnaires. En outre, de manière anticonstitutionnelle, les cinq membres de ce conseil sont tous des délégués du Fidesz.          

Plutôt que de s'attaquer directement aux libertés en arrêtant des journalistes ou en censurant des journaux, Orban a utilisé le levier économique pour affaiblir les médias indépendants. Cette stratégie lui a permis d’éviter un tollé international, tout en éliminant méthodiquement et discrètement les médias indépendants les uns après les autres. Le gouvernement a utilisé ses énormes budgets publicitaires pour canaliser les fonds vers des publications fidèles à la ligne du parti, et affamer celles qui le critiquaient. La majorité des annonceurs privés – espérant des commandes du gouvernement ou craignant de les perdre – ont mis un terme à leurs relations avec les médias qui posaient des questions qui dérangeaient. Ainsi, Klubrádió, considérée comme un "média indépendant", a perdu 90 % de ses revenus depuis le début des années 2010. M.Kerner nous indique que son propriétaire n'est pas en très bons termes avec le Fidesz, mais que ses intérêts économiques largement diversifiés hors de Hongrie le mettent à l'abri de ce type de pression. Un atout décisif dans un pays étonnamment exempt de tout procès relatif la liberté d'expression : pourquoi s'attirer une mauvaise publicité quand il est si facile d'employer l'arme économique, beaucoup plus efficace et difficile à dénoncer ? 

Facebook est un terrain de jeu intéressant pour un parti en quête d'une nouvelle image auprès des jeunes, et après les élections municipales en demi-teinte de 2019. La publicité politique y coule à flots et Viktor Orban s'y prête volontiers aux scènes de genre visant à humaniser son image (l'homme de la campagne, le sportif, l'intellectuel, l'homme de foi), mais il ne dédaigne pas les aspects plus sombres, comme MEGAFON, qui rassemble la galaxie néo-conservatrice, qui y est très influente, et n'hésite pas à diffuser les fausses nouvelles concernant le candidat de l'opposition. On aboutit ainsi à une stratégie multi-canal visant différents publics : captation des sources accessibles (presse quotidienne, TV) pour les 80% de hongrois peu avides d'information, et stratégie délibérée d'influence pour les 2 millions de hongrois qui la suivent activement. 


Lois volontairement floues, assèchement économique, confusion des genres permanente entre État et parti, ces différentes approches, qui ont toutes en commun de vider de leur sens les lois et les grands principes aboutissent à un épuisement des opposants à ce système organisé. Et si cela ne suffisait pas, en matière électorale, les moyens de pression sont légion. Ainsi, le nombre de parrainages pour valider une candidature est passé de 26 à 71, et le redécoupage ("gerrymandering") est une pratique aussi courante qu'aux États-Unis, où il a eu notoirement pour résultat de neutraliser la représentativité des minorités. Il n'y a pas de petits gains à ce jeu où la victoire électorale se jauge à la barre des 54%, et à un seul tour (raison pour laquelle l'opposition a construit une coalition), mais qui n'empêche pas le gouvernement de discréditer avec force (médiatique) le chef de file de l’opposition, Peter Marki-Zay, en dépeignant en socialiste, quand il est un libéral, et plutôt un conservateur bon teint.    

L’opposition espérait que les liens d’amitiés entre Orbán et Poutine, desservirait le premier dans le contexte de la guerre en Ukraine. Il n’en a rien été. Il a fallu six longues heures à la télévision pour l'annoncer. Les équipes du chef du gouvernement hongrois envoient quotidiennement la liste des sujets autorisés à être traités ou non par les médias inféodés au pouvoir et les chaînes publiques, ainsi que les éléments de langages correspondants. Ce délai de six heures s’explique par le temps pris par le gouvernement d’Orbán pour définir une première position sur l’invasion russe. Finalement, Orban a repris la main et la rhétorique de Poutine (l'OTAN a provoqué la guerre), en garantissant, selon lui, la paix et la sécurité.   

En fin de compte, tout revient à un choix en forme de nœud gordienpour ou contre Orban et le Fidesz. L’eurodéputée Momentum Katalin Cseh, membre de Renew Europe, que nous rencontrerons le lendemain, nous tiendra ce même discours : "la politique est devenue tribale en Hongrie, vous êtes pour ou contre, et cela peut déchirer des couples et des familles". Mais, ajoute la députée Européenne Momentum, "cette élection peut montrer au monde qu'il n'y a pas que Orban en Hongrie".   

Avec à sa tête un opposant que personne n'attendait, un conservateur plutôt qu'un libéral "bruxellois", il existait une chance, malgré le morcèlement du paysage politique, entretenu par un système de subventions ubuesque et ses partis fantaisistes (comme le "Real drink party"), malgré le verrouillage des institutions permis par la majorité constitutionnelle des 2/3, malgré les campagnes où l'employeur est très souvent l’État et où voter contre lui peut coûter un poste, malgré les affiches criardes du pouvoir dépeignant l'adversaire comme "100% socialiste" en dépit de tout bon sens, les opposants gardent la flamme, avec l'appui de l'Union Européenne en filet de sécurité ultime, elle qui a finalement compris que, pour frapper fort, il fallait taper au portefeuille.

Malheureusement, Vicktor Orban a été réélu le dimanche 3 avril pour un nouveau mandat, après une campagne électorale insincère, inéquitable et entachées de nombreuses irrégularités. Le combat continue tant pour l'opposition hongroise en Hongrie que pour les eurodéputés de Momentum et du groupe Renew Europe au niveau européen !